Depuis un peu plus de deux ans, de nombreux réseaux sociaux ont vu le jour autant aux Etats-Unis qu’en France. Le nombre de cadres américains ayant rejoint Linkedin entre octobre 2006 et 2007 a augmenté de 189%, de 157% pour le Club Penguin, un réseau dédié aux enfants. Facebook, initialement conçu pour maintenir le contact entre les étudiants d’une université est maintenant la coqueluche de tous les médias en cette fin d’année 2007. Cela dit, selon Nielsen Netrating ce réseau n’arrive qu’en 3ème position du classement des principaux réseaux aux Etats-Unis avec « que » 125% de croissance pendant la même période. Au-delà des fonctionnalités propres à chaque réseau, ces chiffres, annonces et points de vue exprimés par tous ceux qui s’intéressent à la vie du Net, posent de réelles questions quant à nos comportements sociaux sur le Net. Tiraillés entre les attitudes extraverties de fans de Twitter et la pudeur des conservateurs, les internautes ou tout au moins les premiers utilisateurs de ces réseaux cherchent à la fois une justification sociale et un modèle économique qui puisse respecter l’éthique du moment.
En dehors des mes expériences, lorsque je teste un nouveau réseau, mon comportement sur le Net me semble être calqué sur celui de ma vie « physique ». Je n’ai pas un réseau, mais un conglomérat de réseaux. Ma famille, les copains du club de ski, les relations que j’ai pu nouer en fréquentant des associations professionnelles, mes anciens collègues de bureau,… autant de lieux que de réseaux et à l’intérieur de ceux-ci je distingue différents niveaux d’intimité.
La transposition de notre modèle comportemental sur le Net me semble être une approche identique. Je retrouve la même complexité dans mes relations avec autrui ceci sur 3 axes :
La fréquence des contacts
Le degré d’intimité
La proximité avec le groupe c'est-à-dire la nature ou qualité de la relation qui se matérialise par le degré d’appartenance à un groupe
La multiplicité des réseaux sociaux répond à la conjonction de ces trois besoins. J’utilise ma base de contacts Outlook comme un attribut de ma mémoire où je stocke plus de 3000 noms, adresses, numéros de téléphones utilisant les notes pour me souvenir des interactions importantes que j’ai pu avoir avec une personne. Je synchronise le tout avec Plaxo. Je réserve Linkedin à mes contacts professionnels (370 membres), uniquement ceux avec qui j’ai eu une vraie relation de travail à un moment ou un autre, ceux que je peux contacter pour leur demander de me mettre en relation avec l’une de leur connaissance à défaut de pouvoir emprunter leur voiture. Je teste Facebook depuis peu en acceptant d’ouvrir mon espace relationnel aux étudiants qui suivent mes cours, à des personnes rencontrées occasionnellement, bref à des personnes dont le degré de proximité est un peu plus éloigné, sans ignorer d’autres qui me sont plus proche. Je n’ai pas encore adopté une stratégie définitive pour ce réseau, car je crois que sa valeur réside bien plus dans sa capacité à fédérer des applications que les hommes, j’y reviendrai. Je n’oublie pas non plus deux autres catégories :
1) Ceux qui me sont vraiment proches, ceux pour qui il n’est pas utile d’avoir recours à la technologie pour garder le contact. Les vrais copains, la famille et mes collègues de travail actuel entrent dans cette catégorie.
2) La horde des paralysés de la souris et les introvertis du Net. Ces deux sous catégories étant fortement corrélées. Le désir de vivre caché étant souvent une forme d’aveu d’ignorance en ce qui concerne la maîtrise des applications en ligne ou encore plus simplement l’utilisation d’un PC car n’oublions pas que les cols blancs sont plus enclins à poser leurs doigts sur un clavier que d’autres catégories professionnelles et que le taux de pénétration de la technologie dans les foyers français n’est que légèrement supérieure à 50%.
Pour ces deux catégories de population, le téléphone et la rencontre physique restent les principales opportunités de contacts.
L’un des défis des responsables du marketing en 2007 est de pouvoir atteindre le maximum d’utilisateurs en un seul lieu sur le Net et de pouvoir segmenter au mieux la cible afin d’optimiser les budgets de promotion. Toutefois, Business week souligne qu’il existe un peu plus de 135 millions de sites web et que ce nombre augmente de 5% chaque mois, autant dire que la tâche devient de plus en plus complexe. La cible des prospects de n’importe quel annonceur se trouve donc atomisée en 135 millions de pièces ingérables. D’où l’idée de trouver un point de convergence un peu comme Mandelbrot l’avance dans sa théorie du chaos.
Les réseaux sociaux sur le Net peuvent être une solution à ce besoin d’agrégation des prospects des sponsors de ces systèmes : les annonceurs. Cela suppose une bonne dose d’extraversion pour que chaque individu accepte d’être « profilé », qu’il dise qui il est, quels sont ses caractéristiques psychosociales où que le système puisse les définir en observant ses habitudes de consommation sur le Net que cela soit au niveau des produits et services utilisés – Amazon a été un pionner dans ce domaine – que de ses relations. Cette aversion à l’extraversion n’est elle pas la même dans notre vie sociale « physique » ? Notre comportement d’être virtuel me semble suivre la même tendance. Tout au plus, nous pourrions être tentés d’être plus ouvert sur le Net car beaucoup d’entre nous apprécient la relative intimité que leur procure le paravent de l’écran et du clavier.
Certaines critiques à l’égard des réseaux sociaux ne tiennent au fait que nous recevons de nombreuses invitations que certains acceptent alors même qu’ils ne connaissent pas ce contact. Sur ce point, je n’ai pas encore rencontré de réseau où il n’était pas possible de dire « Non ». Certains systèmes peuvent commettre l’erreur temporaire d’être plus incisifs. Mais l’erreur, pour autant qu’il s’agisse d’une erreur, provient à la fois de ceux qui cherchent à maximiser le nombre de contacts autant que de ceux qui acceptent sans distinction toutes les invitations. Ceci dit, si nous faisons une analogie avec le fonctionnement de notre cerveau, le développement du nombre de contacts et du nombre d’interaction doit être un facteur d’évolution de notre intelligence collective. Le cerveau stocke des informations dans les neurones que j’assimile ici aux individus que nous connaissons plus ou moins. Certains plus que d’autres, tout comme nous utilisons des zones de notre cerveau plus que d’autres. Il est admis que la performance de notre cerveau est beaucoup plus liée au nombre d’interactions ainsi qu’à la qualité de celles-ci. Les axones étant les vecteurs qui mettent en relation les neurones. Ici encore, je fais un parallèle avec les réseaux sociaux, ils jouent le rôle des axones transmettant en permanence des informations entre les neurones du méga système d’intelligence collective que nous sommes en train de créer. Certes la qualité des informations est un peu perturbée car nous ne maîtrisons par encore l’outil. Tout comme un enfant adopte dans ses premières années un langage pas toujours contrôlé, nous apprenons et nous lasserons bien vite de recevoir et d’émettre des signaux inappropriés.
Alors si les flux reçus en permanence sur Facebook gênent, je ne doute pas un seul instant que des filtres seront posés dans les mois à venir. Le premier de ces filtres sera vraisemblablement une segmentation des contacts par degré d’affinité. Cela permettrait de répondre au besoin de privilégier, disons 20% des personnes que nous connaissons et de recevoir des informations en priorité de ce groupe. Sur le technologique cela suppose une adaptation du standard FOAF par l’ajout d’un attribut décrivant le degré d’intimité. Nul doute qu’il serait aisé de créer un namespace ce standard utilisant RDF mais la difficulté réside dans le fait que la valeur de cet attribut varie en fonction de chaque destinataire de l’information et non de la source. Par exemple, je peux considérer Pierre comme un ami très proche alors que vous le considéreriez comme un simple contact rencontré dans une soirée lointaine. En d’autres termes, l’URI devrait se situer dans l’environnement créé par l’utilisateur (récepteur) du réseau social. Un peu complexe !… Mais pourquoi pas ? C’est un défi passionnant qui nous fait entrer dans la nouvelle ère du web sémantique, à nous de trouver les solutions et de faire évoluer les premiers systèmes qui s’aventurent sur ce terrain, Facebook, Linkedin et les autres n’étant que des prototypes de ces applications avancées de notre future intelligence collective.
Voilà enfin un vieux rêve qui prend forme pour de nombreux éditeurs de logiciel. En 1987, ce sujet était déjà sur ma table de travail, car nous étions quelques-uns à croire chez Digital Equipment que les capacités de traitement de l’information allaient évoluer vers un modèle que l’on nomme aujourd’hui Software as a Service (SaaS). Nous y sommes aujourd’hui avec des applications comme celles proposées par Salesforce.com et bien d’autres proposées de Google docs à Microsoft live. Le défi de ces éditeurs étant de pouvoir trouver un moyen d’accès intuitif pour les utilisateurs de cette nouvelle forme d’énergie que sont les capacités de traitement et de stockage. Pour l’instant nous avons pu observé des initiatives individuelles des éditeurs qui ne prenaient pas en compte le besoin des utilisateurs d’avoir recours à une seule source pour satisfaire leurs besoins extrêmement variés que cela soit la gestion des contacts clients, le traitement de texte, l’accès au bulletins météo ou d’applications encore plus ciblées. La conception des techniques de programmation AJAX et l’émergence des widgets sont des réponses partielles à ce besoin. J’ai déjà affirmé dans le passé que je ne croyais pas au modèle du site web « fournisseur d’information » tel que nous le connaissons. Cela équivaut à multiplier les systèmes solaires autour des quels des millions d’utilisateurs tourneraient. Le modèle émergeant est inverse à ce concept, le centre de gravité est le consommateur des ressources en ligne. Les widgets qu’il choisit viennent s’insérer dans son écosystème. La première réalisation qui commence à atteindre un taux de pénétration significatif étant les flux RSS. Je ne vais plus visiter les sites web, je laisse mon agrégateur le faire à ma place sur la base de filtres que j’ai paramétrés. Les réseaux sociaux cherchent donc a aller plus loin en proposant un système de gestion des ressources digitales, terme que je préfère à celui de « système d’exploitation » parfois utilisé. On peut effectivement regretter que certains comme Facebook tentent d’imposer au marché un standard qui leur est propre (FBML pour Facebook markup language) mais n’est-ce pas le rêve de tout leader du marché et surtout de toute organisation qui arrive la première sur un terrain vierge ? Il s’agit là d’une technique de marketing usuelle consistant à utiliser son avance pour créer des barrières d’entrées. Barrières qui ne semblent pas si infranchissables que cela au vue du nombre d’applications hébergées par FACEBOOK (7000 annoncées). L’arrivée de géants tel que Microsoft chez FACEBOOK et Google chez Myspace ne sont que des bruits de bottes préparant la grande bataille qui s’annonce pour capter l’attention du milliard d’internautes qui ne demande qu’à pouvoir accéder à des applications de plus en plus sophistiquées en ligne sans avoir à installer un logiciel sur leur machine.
Non, and so what ! En premier lieu, nous devons admettre que les majors ont toujours une interface en anglais nous sommes donc loin d’avoir en main un produit fini. Comme pour toutes les innovations nous devons apprendre à nous servir de l’outil. Avons-nous oublié les 20 heures de leçons de conduite nécessaires pour apprendre à freiner, accélérer, démarrer en côte ? Alors quand on parle d’intelligence collective, je suis prêt à m’astreindre à quelques heures d’apprentissage pour mieux maîtriser les interactions que je peux avoir avec mes contacts et les applications disponibles sur ces nouvelles interfaces. Et puis, comme pour Renault ou Citroën j’attends que les ingénieurs de FaceBook, 6nergies, Viadeo, LinkedIn améliorent en permanence leurs interfaces avec les utilisateurs ne serais-ce que pour augmenter leurs parts de marché. Je me refuse à ce stade de considérer ces outils comme des produits finis. Moins de 1% de la population française serait sur FaceBook, nous sommes très loin d’avoir atteint la masse critique. Est-ce une raison pour rejeter l’utilisation de ces outils certainement moins risqués que de conduire une voiture turbo compressée après 20 heures de cours ?
En Europe, nous sommes beaucoup plus sensibles à l’utilisation de nos données personnelles que peuvent l’être les américains. Ainsi, Cécile Ducourtieux et Laurence Girard mentionnaient dans un article du Monde publié le 11 novembre 2007 quelques heures à peine après l’annonce de Facebook de lancer un programme publicitaire utilisant les profiles des membres pour mieux cibler les annonces que « La Commission informatique et libertés demande que les usagers soient mieux informés. La publicité en ligne est en train de franchir un nouveau palier dans l'exploitation de l'intimité des individus. Grâce à l'efficacité des outils de collecte et de mise en relations du Web, des formats émergents qui sont capables d'exploiter l'énorme quantité de données que les internautes livrent sur leurs blogs, leurs pages personnelles..., souvent sans précautions. Ces formats entendent aussi infiltrer les liens toujours plus nombreux que les internautes tissent avec leurs « cyber-amis ». En fait, le programme Google Adsense associé à Adwords n’est pas si éloigné que la solution proposée sous le nom de Beacon par FaceBook. En tout état de cause, les réseaux sociaux doivent adopter une charte déontologique sous peine de voir leur progression se limiter aux seuls innovateurs. La grande masse des internautes se sentira rassurée si des règles comportementales à l’image de celles proposées par l’Open Social Web traduites et reproduites sur le blog de Luc LEGAY
Les utilisateurs des réseaux sociaux doivent bénéficier des droits fondamentaux suivants :
1. Conserver la propriété de leurs informations personnelles : profil personnel, liste des contacts, contenus produits (ou liens vers ses contenus)
2. Le contrôle du partage de ces informations personnelles
3. La liberté d’autoriser un site, tiers de confiance, d’accéder durablement à ces informations personnelles.
Les sites qui adhèrent à ces droits fondamentaux doivent permettre à leurs utilisateurs :
1. De syndiquer leurs informations personnelles en utilisant une URL permanente ou une API utilisant un format de données ouvert;
2. De syndiquer leurs contenus à l’extérieur du site;
3. De relier leurs pages d’informations personnelles à des identifiants externes et publics
4. De découvrir qui utilise le site parmi leurs contacts, à l’aide d’identifiants identiques à l’intérieur du site et en dehors du site.
Jean-Claude MORAND - 16.11.07